« Les Trois Mousquetaires – D’Artagnan » est le premier volet d’un diptyque réalisé par Martin Bourboulon.
Et parce que ca aura son importance, le scénario est signé par Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière (oui, des hommes).
Synopsis : D’Artagnan, un jeune Gascon fougueux, est laissé pour mort après avoir tenté de sauver une jeune femme d’un enlèvement. Une fois arrivé à Paris, il tente par tous les moyens de retrouver ses agresseurs, mais il ignore que sa quête le mènera au cœur d’une véritable guerre où se joue l’avenir de la France.
Avant toute chose, je tiens à signaler que ces lignes n’engagent que moi et mon avis. De plus, mes propos pourront être relativisés d’ici la fin de l’année où sort la seconde partie de ce diptyque.
Un film des mousquetaires, c’est une sortie tous les 10 ans. Cela faisait bien longtemps que le cinéma français n’avait pas proposé un film de cape et d’épée et encore moins un film sur les trois mousquetaires. Certes, il y a eu des adaptations télé, mais leur qualité a laissé à désirer.
Ne nous mentons pas. Les premières images (BA ou photos) et la distribution ne me rassuraient pas. D’autant plus que le film était présenté comme « ambitieux ». Mais comme on ne juge pas un livre à sa couverture, on ne juge pas un film avant de l’avoir vu. Sait-on jamais, on n’est jamais l’abri d’une surprise.
Alors que dire ? Ca aurait pu être bien…
Parce que si l’on regarde le film d’un certain œil, il pourrait presque être agréable sans grande prise de tête. J’ai dit « presque ». En y regardant de plus près, l’ensemble est très bancal et si ambition il y a eu, elle est bien restée cachée.
Commençons par rendre à César ce qui est à César. Fort d’un budget assez conséquent, le film a été tourné en France et majoritairement en extérieur. Ce qui est une bonne chose. Mais ! Parce que oui, s’il y a de « bonnes choses » dans cette production, il y aurait toujours un « mais » pour venir contrebalancer tout cela.
Le budget conséquent semble avoir été un peu moins employé pour ce qui est des costumes. N’ayant pas les connaissances historiques pour juger cela, je me permettrais de dire que le XVIIe siècle n’est pas un siècle de couleur caca, fade et terne. Les Mousquetaires possédaient une belle casaque bleue (offerte par le roi) pour se faire bien voir. Dans le film, s’il y a casaque, elles sont restées dans le tas de boue où sont tombés les mousquetaires.
Que Louis XIII soit un peu austère, cela se comprend. Qu’Anne d’Autriche ait des tenues qui paraissent défraîchies et ternes, c’est plus regrettable. Et je ne parle même pas de la belle robe rouge cardinalice de Richelieu qui a dû connaître trop de passages en machine. Bon vous me direz que cela va très bien avec le Richelieu le plus fadasse que j’ai vu ces dernières années.
Sans grosse surprise, le filtre boue nique une bonne partie du plaisir de visionnage. Le soleil doit se terrer en attendant que Louis XIII et Anne d’Autriche se décident à faire un héritier (qui n’arrivera que 10 ans plus tard). Et ce filtre boue va pourrir certaines bonnes idées.
Une chose que j’ai aimée, ce sont les longs plans séquences pour les scènes de duels et d’affrontements. MAIS, ces moments sont juste impossibles à lire. En effet, les personnages étant tous marron — aussi bien les mousquetaires que les gardes du cardinal —, impossibles de savoir ce qui se passe vraiment, qui est touché, qui meure. Du coup, c’est une espèce de fouillis qui s’offre à nos yeux. Merci le filtre boue.
Toutes les adaptations des Trois Mousquetaires cherchent leur personnalité, leurs angles d’attaque, avec plus ou moins de liberté par rapport à l’œuvre de Dumas. Ici, il a été fait le choix d’aller vers quelque chose de plus « historique » puisque l’action se déroule en 1627 (kof) au moment du mariage annoncé de Gaston « Mèche à la con » d’Orléans. À noter que le mariage de Gaston d’Anjou a eu lieu en 1626, que le titre de duc d’Orléans lui est revenu à ce moment-là et que son mariage a été un joyeux bordel. Mais bon, nous ne sommes pas à un anachronisme près surtout si cela sert la narration. ha… ha… ha…
L’idée n’est pas si mauvaise et aurait pu apporter quelque chose d’original à une histoire déjà adaptée une tripotée de fois. Oui. Aurait. Cela aurait pu s’il y avait eu une vraie volonté narrative, une ambition narrative, de prendre toute la complexité de l’année 1626… pardon 1627, lié à la volonté des uns et des autres de vouloir marier Gaston « Mèche à la con ». C’est le complot de Chalais, une affaire qui pourrait faire l’objet d’un film à elle toute seule. Or, les scénaristes auraient pu pousser l’audace à non pas intégrer le mariage de Gaston dans les Trois Mousquetaires, mais les Trois Mousquetaires dans le mariage de Gaston. Et là, on aurait rigolé. Bref.
La volonté de s’ancrer dans un contexte historique va donc amener quelques changements par rapport à l’œuvre de Dumas. Et l’un de ces changements principaux est le rôle de Richelieu. Notre cardinal préféré « perd » ici son rôle d’antagoniste vis-à-vis de Louis XIII. Pas par rapport à Anne d’Autriche, dont on se demande bien ce qu’il a contre elle tant rien n’est expliqué (juste dire qu’elle lui a préféré Bucky, c’était pas la Sainte mère à boire). Mais en jouant cette carte, les scénaristes réussissent le tour de force à nous proposer un Richelieu très fade et sans grande importance (déjà qu’il était insipide dans sa robe rouge, c’est la tristitude).
Richelieu pas vraiment antagoniste – ou s’il l’est, on se demande de qui ? —, c’est qu’un autre personnage prend sa place. Alors, outre le fait que la fin du film nous fait « subtilement » comprendre qui est cet antagoniste, on se demande : pourquoi ? Pourquoi avoir changé d’antagoniste ? D’autant plus que l’objectif de base « reste » le même : aller dérouiller La Rochelle et ces méchants protestants. Pour cela, conserver le méchant Richelieu aurait largement suffi. Le lien avec l’aspect « plus historique » me paraît bancal. Je peux me tromper, mais il me semble que « antagoniste » (pour pas trop spoiler) n’était pas trop du genre à vouloir faire la nique aux protestants. Celui qui aurait été le plus chaud pour faire la nique aux protestants à l’époque, c’était plus Richelieu — très insipide et fade — et Louis XIII. Or, s’il y a une chose assez bien dans ce film, c’est Louis XIII. Est-ce qu’il y a eu une volonté — un peu politique — de montrer le « bon roi » ? Je m’interroge.
On parle d’antagoniste, mais n’oublions pas les protestants. Là encore, il y a des choses à redire. Alors, certes, il y a peut-être eu une volonté de ne pas juste faire « méchant catho » contre « gentils protestants », avec quelque chose de plus complexe. Mais là encore, il y aurait fallu mettre un peu plus d’ambition dans le scénario.
Outre ce manque d’ambition dans cette intégration plus ou moins historique, le film propose quelques changements par rapport à l’intrigue de base de Dumas. Loin de moi l’idée de dire que ce n’est pas bien. Sauf qu’ici, il y a des changements que je n’ai pas trouvés si anodins.
Cet épisode s’intitule « D’Artagnan ». Mais ne nous mentons pas, il aurait pu s’appeler « D’Artagnan et Athos ». Il est vrai que le plus ivrogne des mousquetaires est souvent présenté en « chef » de la petite bande et prend plus de place dans les intrigues. La « faute » à Milady probablement. Sans grande surprise, D’Artagnan et Athos prennent des places importantes, en délaissant Aramis et Porthos. Si l’intrigue autour de d’Artagnan suit assez bien l’intrigue des ferrets de la Reine issue du roman de Dumas, il y a toute une intrigue autour d’Athos. Cette intrigue a « deux » buts. Construire la relation Athos — Milady, mais aussi sert l’intrigue principale (les ferrets…). Sur le principe, pourquoi pas ! J’aurais presque pu dire que voir Milady chercher une vengeance en amont de la résolution de l’affaire des ferrets, avait son charme. MAIS. Il y a quelque chose que j’ai trouvé odieux, dangereux, et voire carrément masculiniste. Et je suppose que Cassel dans le rôle d’Athos ne fait que renforcer cet avis.
De quoi s’agit-il ? Pour celles et ceux qui sauraient pas, Athos est l’époux de Milady. Il l’a épousée sans rien savoir d’elle. Sauf qu’un jour, il découvre qu’elle est en fait marquée de la fleur de lys. C’est une criminelle. Sans aucune forme de procès, il la pend à un arbre. Féminicide, bonjour. Athos est donc un personnage problématique. Comment faire avec cet élément dans un monde post-me too ? La version d’Anderson avait éludé le souci à sa manière. Mais dans un film pour les hommes, par des hommes et écrit par des hommes, autant dire qu’ils n’ont pas éludé le problème. Pire, à mon sens, ils l’ont empiré. Dans cette nouvelle version, on apprend donc que Milady a été mariée à 15 ans, qu’elle a buté son époux violent et violeur. Ensuite, elle épouse Athos. Athos apprend la vérité de la bouche de Milady et la livre à la justice. Milady est jugée, condamnée à porter le lys et pendue. Athos féminicide ? Non, c’est la justice qui a condamnée Milady. Pas lui. C’est pas sa faute, c’est la justice. Allez hop, les meubles sont saufs. Non. C’est pire. Athos apprend les violences qu’a vécues son épouse — qu’il prétend aimer — et au lieu de la soutenir, de la protéger et de comprendre, il la livre à la justice. Les scénaristes prennent le parti de le dédouaner et pire, presque le faire passer pour une victime : c’est pas moi j’ai rien fait, et puis je suis triste. La malaisance !
Parlons des personnages féminins. De nombreux personnages masculins ont été ajoutés dans cette adaptation. Il faut dire que le roman de Dumas manquait cruellement de personnages masculins et donc qu’il était important d’en ajouter de nouveaux. Sans oublier que des personnages féminins politiquement importants comme Anne d’Autriche ou Marie de Médicis, des conspiratrices comme la duchesse de Rohan, la princesse de Conti, sont tellement rares qu’il n’a pas été possible de les mettre en scène. Surtout la duchesse de Rohan qui pourrait bien avoir un certain lien avec un certain Athos. Et quand les réalisateurs ont pour ambitions d’adapter « Vingt ans après », ça fait un peu mal au c**.
Bon, scénario d’hommes. Fallait-il avoir un peu d’espoir ? Et pourtant, avec l’annonce de Marie de Médicis, j’y ai cru. L’espoir déçoit. Bon réglons le cas de cette pauvre Marie de Médicis, réduite à quelques minutes de présence. Alors certes, on pourra mettre à son honneur les petites phrases assassines à Gaston « Mèche à la con », mais c’est bien tout. Mon désespoir a été fort grand surtout quand on connaît son rôle dans le bordel qu’a été le mariage de son dernier fils.
Anne d’Autriche. Avec elle, c’est compliqué. Souvent présentée en victime de Richelieu et Louis XIII (oui, ce sont deux connards), son rôle pourrait paraître un poil différent ici, car elle paraît en bon terme avec Louis XIII. Alors certes, elle aime Bucky — on se demande pourquoi d’ailleurs ? — avec les conséquences que cela peut avoir. Mais si cela est un souci, c’est que sa relation avec Bucky était l’objet des manigances de Richelieu pour aller éclater la Rochelle. Bon, comme on a vu que Richelieu n’est pas le grand méchant, on ne comprend pas trop les motivations du cardinal.
On notera que les scénaristes tentent de montrer qu’Anne d’Autriche n’est pas qu’une potiche dans une scène où elle se sert d’un fusil et chasse. Ah chouette, on va la voir se sortir les doigts du c** à un moment. Alors certes, je m’attendais pas à la voir un pistolet à la main défoncer comme une furie des méchants, mais un petit coup de pistolet pour sauver sa peau aurait déjà été pas mal. Quand l’occasion arrive, on a le droit à une reine en pleine crise de hurlement, sans aucun sang-froid. J’aurai presque envie de dire en pleine crise « d’hystérie » — rappelons que ce sont des hommes qui écrivent le scénario. Grosse déception ici où comme toujours, Anne n’a ni pouvoir ni personnalité, ni rien. Juste une pauvre poupée.
Constance… ah, Constance… En 1973, Richard en avait fait une cruche. C’est critiquable, mais au moins, il avait essayé de lui donner un rôle et une personnalité. Pour trouver une Constance digne de ce nom, il faut remonter en 1932 ! dans la version de Diamant-Bergé. Et autant dire qu’en 2023, c’est pas encore ça. Bref, c’est le love interest. J’avoue que j’ai eu profondément envie de la buter la fin quand elle regarde d’Artagnan avec des yeux de merlans frits alors qu’Anne d’Autriche est en PLS et attend ses ferrets ! Bordel MEUF !
Milady. Pas forcément grand-chose à dire de ce côté-là. Hormis le fait de lui inventer encore un passé pour sauver les fesses de l’assassin Athos (lol) — alors que les livres de Dumas l’évoquent —, le personnage est à peu près ce qu’on pourrait attendre d’elle. Même si son « suicide » ne trompe personne et n’a aucun sens. Bref, cela aurait pu être pire. Et pourtant, c’est Eva Green et je l’aime pas.
En forme de bilan, on pourra dire que cette version se vautre encore dans un bon sexisme sous couvert de faire croire à la présence de quelques personnages féminins puissants. Mais force est de constater que non.
Pour rester dans les points de la malaisance, on pourrait parler de nos mousquetaires.
Déjà, c’est plus des clodos que des mousquetaires. Filtre boue. Évacuons Athos dont on a pas mal parlé et se présente en bon mâle torturé, porté par un Vincent Cassel tout heureux de jouer un homme bien couillu.
Aramis. On va couper court, je ne supporte pas Duris et il n’y a rien à en tirer. Certes, on sent une volonté de lui donner son moment de gloire avec un peu de torture, mais franchement, c’est naze.
Il aurait pu en être de même pour Porthos. Enfin je dis ça, il ne sert pas à grand-chose non plus. Mais, il y a un truc malaisant avec Porthos. Il est bisexuel. Alors, attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Qu’il soit bi n’est pas en soi un souci. Par contre, sa mise en scène est problématique. Alors, je pense que des personnes bi pourraient en parler mieux que moi. D’ailleurs, s’il y en a ici, n’hésitez pas à faire porter votre voix ! Porthos annonce la couleur lors de sa rencontre avec d’Artagnan. Le sous-entendu est ok. Les choses auraient pu s’arrêter là. Hélas, il n’en est rien. Dans la scène de taverne (où l’on notera le chant des cadets de Gascogne issu de Cyrano de Bergerac), Aramis arrive, la bouche en cœur, pour prévenir le jeune d’Artagnan de se méfier de Porthos. Car s’il est sympa avec lui, c’est juste parce qu’il veut le sauter ! Bin oui, un mec bi sympa, c’est juste un mec qui veut te sauter ! La malaisance ! Puis ensuite, il y a cette scène où l’on voit Porthos avec une femme sous un bras et un homme sous l’autre. Évidemment, les bi, ça adore les plans à trois ! (soupire).
Alors, je sais que la sexualité des personnages n’a pas vocation à servir à quelque chose, mais si on décide de la mettre en scène, autant le faire bien ! D’autant plus que compte tenu du scénario (l’affaire des chevalières), il y aurait tellement eu de choses de sympa à faire avec le prince et la princesse de Condé (alors, j’extrapole, mais il se raconte que le prince de Condé aimait les hommes). Bref…
Entre les clichés biphobes, les éléments de masculinité toxique et le sexisme puant, cette production prouve qu’elle reste dans un conservatisme rétrograde. Et qu’imaginez par qu’il serait impossible de faire des personnages féminins intéressants ! La version de 1932 de Diamant-Bergé proposait une Constance volontaire et aventureuse, sans compter la présence de Madame de Chevreuse !
Je pense que j’ai déjà dit beaucoup de choses sur ce film. Et j’ai l’impression d’en oublier. Bon, il faut dire que je l’ai vu il y a déjà plusieurs mois. Par ailleurs, je peux difficilement parler des aspects techniques du film (montage), car ce n’est pas trop mon domaine.
En bilan, ce film manque cruellement d’ambition ! Scénaristiquement, l’insertion historique est d’une pauvreté incroyable ! Compte tenu du résultat, cela ne valait pas la peine d’ajouter Gaston « Mèche à la con » et Chalais (qui auront leur gloire dans la partie 2 ?), ni Marie de Médicis d’ailleurs !
Je tiens à remercier Eless, Vicky Saint-Ange et Rachel Fleurotte pour la relecture de cet avis.